21 déc 21 Editions TALENTS HAUTS Remue Méninges Féministe Radio Libertaire 89.4

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Émission du 21 décembre 2021

 

Invitée et thématiques

Justine Haré, des Éditions Talents hauts pour la collection Les plumées et autres collections.

http://www.talentshauts.fr/

 

Rubriques :

Dans la médiathèque de Remue Méninges féministe, on trouve … Les plumées !

 

Informations militantes (voir détails des informations ci-dessous)

 

Publications

 

La semaine prochaine : Rachel Moran, pour la sortie de son livre traduit en français «L’enfer des passes – Mon expérience de la prostitution. Éditions LIBRE.

 

Musiques : "Frangines" Anne Sylvestre (indicatif de début); "Oror (Yall tnam)" Lena Chamamyan ; "Lola et tout ce qui s’ensuit" Michèle Bernard ; "Laissez les enfants pleurer" Anne Sylvestre ; "Let the Children play" Santana ; "Gimme Shelter"  Patti Smith ;  "White Rabbit" Jefferson Airplane ; "Soul Makossa" Manu Dibango/Fania All Stars ; "Dans nos chants" Anne et Edwige des Entresorceleuses  (indicatif de fin).


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DÉTAILS DES INFORMATIONS et ARTICLES :

 

Actualités des luttes

 

Le gouvernement au service de l’entreprise de “feminist washing” de la Société Miss France

Le 15 décembre 2021, Madame la Ministre Elisabeth Moreno a remis la médaille de l’égalité à Madame Diane Leyre, pour son titre de Miss France 2022. Cette remise de décoration s’inscrit dans un contexte où la société de production de Miss France est en pleine opération marketing pour donner l’illusion d’être “féministe” et tenter de faire oublier qu’elle continue de violer le droit français.

L’association Osez le Féminisme ! rappelle qu’elle a intenté une action en justice contre la production du spectacle Miss France afin de faire cesser toute forme de discrimination illégale dans les critères de recrutement des candidates. Depuis, les très nombreux critères discriminants et sexistes n’ont pas été modifiés (être célibataire et sans enfant, ne pas avoir été mariée, ne pas vivre en concubinage, de pas avoir de tatouage, ne pas boire d’alcool ou fumer en public, respecter les “bonnes moeurs” et les “valeurs de l’élégance”, etc.). En outre, l’absence de reconnaissance de la relation de travail sur toute la durée des répétitions mène à de graves abus : temps de travail et pauses non respectés, accidents de travail non reconnus comme tels, contrôle alimentaire, caméras dans les loges où se changent les candidates... En 2018, ces violations du code du travail ont mené à la diffusion en direct d’images de deux candidates torse nu. Cette violation de leur vie privée a considérablement affecté leurs parcours et elles sont également en procédure contre la société productrice de Miss France. 

Face à une situation où  des sociétés privées font du profit grâce à des violations du droit français (5 millions d’euros de recettes publicitaires pour TF1 sur le seul soir du spectacle), notre gouvernement choisit d’ignorer les faits. Distribuer des codes pénal aux candidates (comme l’a fait Marlène Schiappa) ou participer à la campagne marketing de la Société Miss France en décernant la médaille de l’égalité à la gagnante de l’émission (comme l’a fait Elisabeth Moreno) ce n’est pas protéger les droits des femmes mais contribuer à maintenir les intérêts privés de ceux qui les exploitent.

Post #MeToo, la Société Miss France sait qu’elle ne peut plus simplement ignorer les revendications des associations de défense des droits des femmes. Sa stratégie est donc de se revendiquer “féministe” alors même que l’objet du spectacle n’a pas changé depuis 100 ans : scruter, évaluer, comparer, classer des femmes sur leur physique. Depuis l’annonce de notre action, la Société Miss France n’a eu de cesse de dévier le sujet sur les femmes participant à l’émission, insistant sur leur liberté de choix, pour ne surtout pas parler des violations au code du travail dont elle se rend coupable. Les “Miss” ont été mises en première ligne par la production lors de leur campagne de communication comme c’est encore le cas avec la remise de la médaille de l’égalité à Miss France 2022. Nous ne sommes pas dupes, ces opérations marketing ne servent qu’à redorer le blason de la société de production qui essaie de faire passer ce spectacle objectifiant et sexiste, mais très lucratif, pour “féministe”, dans une classique stratégie de rebranding, et ce désormais avec l’aide du gouvernement !

Association  OSEZ LE FÉMINISME! Alyssa Ahrabare et Ursula Le Menn 

 

Affronter la faim et la violence avec le féminisme paysan et populaire

Sonia Vidal présente, en texte et en audio, la vision de La Via Campesina sur la lutte contre la violence patriarcale

Chaque année, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre, la Via Campesina appelle à des actions symboliques de sensibilisation, de visibilité et de solidarité. À partir de la Via Campesina, nous dénonçons la violence alarmante subie par les femmes, les enfants et les diversités dansle monde. Nous sommes toujours attentives à la discrimination de notre genre, mais il est vrai que dans cette pandémie nous percevons de manière très aiguë que les violences touchent plus de la moitié de la population mondiale. Alors, elles ne peuvent pas être ignorées.

La violence de la faim, la violence du capital

Nous vivons plusieurs crises structurelles dans les domaines social, économique, climatique et alimentaire. Nous sommes confrontées à une féminisation croissante de la faim. Nous exigeons que les droits humains de base et fondamentaux soient garantis à toutes. Le droit à l’alimentation est ce qui guidera nos actions et nos processus. Ces processus doivent être urgents, en particulier la prise de décision des politiques publiques pour réaliser la souveraineté alimentaire sur la base de projets de production agroécologiques, dont les femmes sont la majorité des participants.

En juillet 2021, OXFAM a publié un rapport où il était possible de voir la comparaison entre combien de personnes sont mortes de faim et combien sont mortes de Covid-19 au sommet de la pandémie. Il y avait environ 11 personnes par minute qui mouraient de faim et environ 7 personnes par minute qui mouraient au sommet de la pandémie de Covid-19. Cette crise sanitaire que nous vivons a conduit à l’aggravation de la crise de la faim que nous subissions déjà.

Et sur qui est retombé le travail de soins, tant de nos personnes âgées que de nos enfants et de nos personnes dépendantes en général ? En raison de la pandémie, les écoles et les centres où nos personnes âgées dépendantes pouvaient passer la journée et recevoir des soins ont été fermés. La plus grande partie de ce travail était sous la responsabilité non rémunérée des femmes.

Une offensive qui s’attaque aux corps et aux territoires des femmes

La vérité est que les revers sont nombreux, tant pour les femmes que pour les diversités. Au Brésil, en Colombie, au Honduras, en Palestine, aux Philippines, au Guatemala, au Costa Rica, au Kurdistan et au Mexique, ces alertes ont été intensifiées. En 2017, il y avait 87 000 féminicides, selon les données officielles. Cela signifie que 137 femmes sont mortes par jour. En Amérique Latine, une femme est tuée toutes les deux heures – toutes les deux heures, je le répète parce que c’est très grave – simplement parce qu’elle est une femme. Nous devons nous rendre visibles et nous battre pour nos droits afin de pouvoir également lutter ensemble contre la faim.

En Europe, nous avons un autre problème grave : la terre. De grands fonds d’investissement et des multinationales s’approprient des terres – agricoles, productives, sur lesquelles nous produisons de la nourriture – pour, tout d’abord, installer de grands projets miniers ; et dernièrement, avec cette « mode » européenne de se déguiser en producteurs d’énergies vertes et renouvelables, ils s’approprient nos terres, qui devraient être de petites exploitations familiales. Cependant, ce qu’ils conçoivent sont des méga-parcs éoliens et des mégausines à panneaux solaires.

Fausses solutions

Si nous regardons de l’extérieur, nous pouvons dire « Eh bien, c’est peut-être un moyen de produire de l’énergie verte d’une autre manière », mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas la réalité. Ces grands fonds d’investissement arrivent et ce qu’ils font, c’est assembler ces mégaprojets. La réalité n’est pas qu’ils fournissent de « l’énergie verte » aux villages et aux villes. Ce qu’ils font, c’est transférer cette énergie supposée verte et renouvelable dans les grandes villes de notre territoire – par exemple, de la Galice à Madrid. Plus de la moitié de l’énergie produite est perdue sur le chemin pour des grandes villes.

Ils nous trompent et vendent des politiques qui ne sont pas vraiment bénéfiques pour la population paysanne. En tant que Via Campesina, nous voyons qu’il est urgent de protéger les populations qui produisent de la nourriture, les femmes, les enfants et surtout la diversité. Protéger nos coutumes, nos traditions, nos connaissances, nos territoires et l’accès aux biens les plus communs, tels que l’eau et la terre.

Pour mettre fin à la violence et aux inégalités, il faut changer le système capitaliste. Nous devons proposer des systèmes alimentaires diversifiés et basés sur la souveraineté alimentaire et l’agroécologie. Après tout, notre demande n’est pas exactement d’avoir beaucoup de nourriture, mais d’avoir une nourriture de qualité à une courte distance afin de pouvoir lutter contre la faim.

Chez Via Campesina, le 25 novembre, notre drapeau était « Femmes paysannes luttant pour leurs droits, contre la faim et la violence ! » Nous avons lancé la publication graphique L’itinéraire du féminisme paysan populaire à la Via Campesina, traduit en anglais, français et espagnol, pour soutenir les processus de formation, de mobilisation et d’organisation des femmes paysannes.

Nous voulons suggérer comment se battre ensemble et renforcer les alliances, qui sont très importantes. Nous voulons que nous soyons toutes ensemble et unies pour lutter contre ce capitalisme qui monopolise nos vies de toutes parts.

 

Sonia Vidal Lamas est éleveuse de bétail, vit en Galice, est membre de l’exécutif du Syndicat LabregoGalego et de la Coordination européenne de Via Campesina. Cet article est une édition de son intervention lors du webinaire « Luttes anti-systémiques pour vivre sans violence », organisé par Capire en collaboration avec la Marche Mondiale des Femmes, Via Campesina et le Mouvement mondial pour les forêts tropicales, le 18 novembre 2021.

https://capiremov.org/fr/analyse/affronter-la-faim-et-la-violence-avec-le-feminisme-paysan-et-populaire/

 

 

LE PRONOM IEL : « UN SUJET POLITIQUE »

Entretien réalisé par Élise Thiébaut, autrice et membre du comité éditorial de La Déferlante.

 

Le conservatisme autour de la langue est-elle une spécificité française ?

La tendance au conservatisme se rencontre dans bien d’autres pays : peur du déclin, peur de l’influence d’autres langues, tendance à un purisme souvent fantasmé. Les simplifications de l’orthographe ou de l’emploi de noms féminisés même quand ces noms ne sont pas si nouveaux [comme le mot autrice, encore une fois, NDLR] suscitent aussi des crispations. Cependant, il y a en France certaines spécificités, comme l’idée que le pays serait monolingue. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Éducation nationale, dit ainsi qu’il n’y a « une langue, une grammaire, une République »  alors qu’il existe presque autant de langues que de grammaires en France. Malgré son absence de légitimité scientifique, l’Académie française a aussi une grande influence médiatique, en adoptant systématiquement des positions conservatrices. Enfin, il faut citer la tendance de la France à se croire habilitée à réglementer le français dans le monde entier, et à hiérarchiser les pratiques du français (en plaçant bien entendu le français de France au-dessus de tous les autres), ce qu’il faut lier à l’histoire de l’empire colonial français et à l’Organisation internationale de la francophonie, régulièrement accusée d’être une institution néo-coloniale.

« L’ACADÉMIE FRANÇAISE ADOPTE SYSTÉMATIQUEMENT DES POSITIONS CONSERVATRICES » 

Y a-t-il un lien entre le rejet du langage inclusif et les réactions violentes que les tentatives de réforme de l’orthographe depuis 1990 ont pu entraîner ?

Dans les deux cas, on peut penser qu’il y a une crainte du changement, et une vision fantasmée de la langue avec l’idée qu’il ne faudrait pas la « toucher », qu’il faudrait la laisser « telle qu’elle est » alors qu’une langue vivante est une langue qui évolue. Dans les deux cas, je dirais aussi qu’il y a une présentation médiatique polémique de ces sujets très simplificatrice, voire erronée : on réduit le langage inclusif à une multitude de points médians illisibles, et on présente la réforme de l’orthographe comme un nivellement contemporain par le bas, sans réfléchir à la distinction entre langue et code graphique (qui a toujours évolué, il suffit de regarder des manuscrits du temps de Molière), ni à l’arbitraire orthographique de certains mots. Par exemple la réforme de 1990 préconise d’écrire charriot avec deux « r », comme charrette et non « chariot », ce qui paraît logique… mais ce n’est pas ce type d’exemple qui a été médiatisé ! On peut aussi voir des positions politiques plus ou moins dissimulées et plus ou moins conscientes derrière ces polémiques linguistiques. Certaines personnes font aussi preuve de cohérence en voulant favoriser les formes qui simplifient le rapport entre code oral et code écrit, et en étant donc pour la réforme de l’orthographe et contre certaines modalités complexes du langage inclusif comme les points médians.

Avez-vous observé des changements d’usage de la langue depuis la parution de votre livre en 2019 ou la mise en ligne de votre série de podcasts Parler comme jamais ?

Je ne pense pas qu’un livre ou qu’un podcast suffisent à faire changer les mentalités et /ou les pratiques ! Les milieux militants féministes se sont emparés de ces questions de langue depuis très longtemps. Je pense que nous nous inscrivons simplement dans un mouvement collectif de diffusion de ces questionnements autour de la langue. Et c’est tant mieux !

Pour aller plus loin :  Laélia Véron a également publié en octobre 2021 avec Maria Candea un ouvrage adapté de son podcast Parler comme jamais aux éditions Le Robert.

 

 

Publications

 

Plaintes contre X

Le Monde consacre une enquête en quatre volets à l’affaire de violences sexuelles dans le milieu du porno français. Avec une soixantaine de victimes identifiées, huit producteurs et acteurs mis en examen pour des soupçons de viols en réunion, de traite d'êtres humains et de proxénétisme, ce dossier judiciaire, qui porte sur des vidéos vues par un très large public, fait trembler l’industrie du X

 

Episode 1 : « C’était des viols déguisés en vidéo » : le réseau, le recruteur et les proies

Par Lorraine de Foucher , Nicolas Chapuis et Samuel Laurent

Des investigations judiciaires d’une ampleur inédite, mettant en cause plusieurs centaines de personnes, lèvent le voile sur les coulisses sordides de ce milieu, dont les images sont largement diffusées sur Internet. Dans une enquête en quatre volets, « Le Monde » décrypte le fonctionnement d’un réseau sous l’emprise duquel ont été plusieurs dizaines de jeunes femmes.

Ils ont tous les âges. Des casquettes, des bonnets, des barbes, des lunettes. Ils ne se cachent pas, se parlent pour certains, sourient pour d’autres. Quelques jours plus tard, un confinement total s’abattra sur la France, mais ce dimanche 8 mars 2020 à 13 heures, ils attendent devant un immeuble gris de la porte d’Italie, à Paris, puis finissent par entrer. A quelques mètres de là, des gendarmes en planque dans un véhicule banalisé les photographient un à un, trente-trois hommes au total. Tous sont là en réponse à un e-mail lapidaire reçu deux jours plus tôt : « BUKKAKE le dimanche 8 mars 13 heures, 11 avenue Léon-Bollée, 75013 Paris. 2 grosses éjacs + 1 semaine d’abonnement chez french-bukakke. Impératif : cagoule + carte d’identité. » Les enquêteurs de la section de recherches (SR) de Paris ont également reçu cette invitation : ils viennent d’infiltrer cette plate-forme pornographique avec un faux profil.

Ce dimanche de mars, les gendarmes n’ont pas besoin de franchir la grille ; ils savent déjà ce qui se joue derrière ces murs. « Pascal m’a dit qu’il y allait avoir beaucoup d’hommes, j’ai dit : “Non je ne veux pas faire ça, je ne peux pas le faire et j’ai peur.” », a témoigné Samira, l’une des victimes – tous les prénoms de celles-ci ont été modifiés –, lors d’une audition. « Tu vas le faire, tu vas être souriante, tu n’as pas le choix », lui aurait ordonné le Pascal en question. « Je rentre dans la pièce, ils avaient tous une cagoule ou un masque, avec des vêtements, mais tous le sexe à l’air », poursuit cette femme de 22 ans. Elle raconte avoir dû se mettre sur le coussin par terre et pratiquer une fellation à chacun des inconnus présents. Ensuite, ils ont éjaculé sur elle, alors qu’une caméra enregistrait ce « bukkake », du nom de cette pratique venue du Japon où une seule femme doit satisfaire plusieurs dizaines d’hommes. La victime, toujours : « J’avais plus aucune visibilité en fait, je pleurais mais les larmes ne coulaient pas, j’avais le visage rempli, les yeux remplis, mon corps tremblait, je n’avais plus aucun contrôle. Ça a duré une heure, j’avais l’impression que ça n’allait pas s’arrêter, c’était une torture. »

e scène n’est que l’une des centaines collectées par les gendarmes au cours de leurs deux années d’investigation sur ce qui s’annonce comme l’une des plus grandes affaires de violences sexuelles traitée par la justice française. Avec 53 victimes identifiées à ce jour, huit personnes mises en examen, trois juges d’instruction et des milliers de procès-verbaux, l’enquête, révélée en partie par Le Parisien, est ouverte pour « viols en réunion », « traite aggravée d’êtres humains », « proxénétisme aggravé », « blanchiment », « travail dissimulé » et « diffusion de l’enregistrement d’images relatives à la commission d’une atteinte volontaire à l’intégrité de la personne ». Selon nos informations, plus de 500 hommes ayant participé à des « bukkake » ont été identifiés par les gendarmes et pourraient faire l’objet de poursuites.

Ce dossier tentaculaire, auquel Le Monde consacre une série en quatre volets, implique les plus gros réseaux de diffusion de films X dans l’Hexagone et menace tout le milieu. En effet, il pourrait sortir pour la première fois la pornographie du flou juridique qui l’entoure en envisageant de la traiter comme du proxénétisme, c’est-à-dire le fait de s’enrichir en exploitant des rapports sexuels tarifés.

Parcours tourmentés

Cette affaire permet de décortiquer la fabrication d’une partie de ces vidéos faussement présentées comme du « porno amateur », exploitant le mythe d’une jeune ingénue avide de sensations fortes, qui mettrait en scène son refus de pratiques violentes finalement imposées par des professionnels. Ces images, dites « pro-am » (un homme professionnel et une jeune femme amatrice), très populaires sur les « tubes » – les sites comme PornHub, YouPorn, ou encore XVideos, ces plates-formes internationales qui agrègent et diffusent du contenu produit partout dans le monde et représentent près d’un tiers du trafic planétaire –, forgent l’imaginaire de millions de consommateurs, notamment adolescents.

En réalité, ces séquences sont le fruit d’une logique d’atteinte aux femmes très élaborée. Les hommes y sont des prédateurs, sous-payés, mais dont la gratification est tout autre. « C’étaient des viols déguisés sous prétexte de vidéos. Acteurs et producteurs avaient toutes les libertés », admet l’un des membres du réseau. Cette enquête documente surtout la façon dont cette industrie, qui génère beaucoup d’argent, entre les abonnements et les publicités, est prête à tout quand il s’agit de se procurer sa « matière première » : de très jeunes femmes – 23,5 ans de moyenne d’âge –, en situation de vulnérabilité et sexuellement inexpérimentées, qu’il s’agit d’exploiter au maximum, avant qu’elles soient, selon le terme de l’un des producteurs, « cramées ».

Les auditions menées par les gendarmes sont longues, précises et témoignent, chez les victimes, de parcours souvent tourmentés. Citons ainsi Emilie, qui a vu sa mère partir, puis son père se suicider en se jetant sous un camion. Placée en famille d’accueil, elle finit par obtenir un diplôme de secrétaire médicale à Reims. Héloïse, elle, vit une enfance paisible, entre Toulouse et la campagne, mais tout bascule à l’âge de 13 ans : « Je me suis fait violer par deux personnes de ma classe au cours d’une soirée. » Elle a obtenu un BTS assistant manageur et tente désormais de reconstruire sa vie à l’étranger. Soraya grandit en banlieue parisienne. Bonne élève jusqu’au départ brutal de son père au Maroc, qui plonge sa mère dans une grave dépression. L’adolescente ne passe pas son bac, mais le BAFA, et effectue des missions d’hôtesse d’accueil en intérim. Samira, elle, est la dernière d’une famille modeste et très nombreuse. Elle arrête l’école en 2de et décroche des petits boulots… Toutes cherchent à négocier au mieux ces virages difficiles que sont l’entrée dans l’âge adulte et l’accès à l’autonomie financière, mais leurs trajectoires vont se fracasser sur un seul et même récif…

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Si certaines personnes ont une double vie, Julien D., lui, en a trois. Le versant officiel : il est marié à une jeune femme rencontrée lors d’une soirée chez des amis. Quelques échanges sur les réseaux sociaux plus tard, ils se sont revus. Elle a eu droit au mariage dont elle rêvait avec cet éducateur spécialisé, apprécié de ses collègues. Plus tard, ils ont eu des enfants. Pas d’ombre au tableau, à part peut-être pour Julien D., qui s’ennuie dans sa vie de père de famille et passe beaucoup de temps sur son portable. Depuis quelques années, le quadragénaire a une maîtresse, à laquelle il fait miroiter une rupture prochaine avec son épouse.

Lorsque son épouse part travailler, de nuit, une troisième femme l’accapare encore davantage, celle qu’il devient virtuellement sur l’écran de son ordinateur ou de son téléphone : Axelle Vercoutre, une mannequin aux profils Facebook et Instagram très actifs, la montrant dans des paysages féeriques et des fêtes luxueuses aux Etats-Unis. Axelle, en réalité, n’existe pas : ces images ont été volées à une influenceuse américaine, Angie Varona. Sous ce faux profil, Julien D. orchestre une chasse. Ses cibles : des centaines de jeunes femmes.

Faux profil et compliments

Face aux enquêteurs, il est incapable de se souvenir quand a commencé ce qu’il qualifie de « déviance sexuelle ». Sans doute en 2015, durant la grossesse de son épouse, justifie-t-il dans un premier temps, avant d’être confronté à des témoignages remontant à 2012. Il est tout aussi incapable d’expliquer l’engrenage qui l’a poussé à contacter sans relâche ces inconnues.

Même s’il a tout fait pour dissimuler ses traces numériques et faire effacer ses conversations par ses victimes, les gendarmes ont pu accéder à quelques extraits et décrypter sa stratégie. Avec patience et méthode, la fausse Axelle commence à échanger des compliments avec ses proies, elle les met en confiance, évoque sa vie de rêve entre la Belgique et Miami. Si elle a toujours un prétexte pour ne pas échanger de vive voix au téléphone, la mannequin se montre très à l’écoute des difficultés de ses interlocutrices, prêtes à lui confier leurs espoirs et leurs galères.

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A la façon d’un bonimenteur, Julien D. modèle son discours en fonction de leurs failles et devient, sous les traits d’Axelle, une sorte de « meilleure amie » virtuelle. « On semblait avoir beaucoup de points communs, a témoigné Emilie. Cette personne avait réussi à collecter beaucoup d’informations sur moi pour me manipuler et que je ressente le fait qu’on est proches et à peu près pareilles. » Héloïse, elle, était préoccupée par la santé de sa sœur. « Au bout de deux mois, ce profil a réussi à m’avoir plus profondément en me disant : “Toi aussi, tu as une petite sœur, moi aussi j’en ai une, elle est à l’hôpital, on est très proches comme vous semblez l’être.” Et à partir de là, on a parlé tous les jours pendant six mois, comme deux jeunes filles normales qui ont des soucis mais qui partagent tout à distance. » Karine aussi se laisse approcher. « Elle [Axelle] me faisait des déclarations d’amour amical. A mon anniversaire, elle m’avait envoyé un pavé en me disant que j’étais unique, que c’était rare qu’elle ait des accroches avec quelqu’un sur Internet. On avait plein de points communs, mais, en fait, c’est elle qui s’adaptait à ce que je lui disais. »

Sur Internet, Julien D. ne se fait pas que de nouvelles amies. Il ingurgite aussi des heures de vidéos pornographiques. L’éducateur spécialisé a ses préférences : il visionne particulièrement les images réalisées par un certain « Pascal OP », patron, réalisateur et acteur vedette de French Bukkake, sa « franchise ». De son vrai nom Pascal Ollitrault, ce sexagénaire normand aux yeux cachés derrière des lunettes noires est une célébrité dans ce milieu. Ses tirades racistes et homophobes, sa misogynie et sa violence l’ont hissé au rang d’icône de la culture pornographique – adulée notamment par les ados et jeunes adultes du forum 18-25 du site Jeuxvideo.com – et d’objet de curiosité médiatique à une période où le porno est vu comme un produit culturel en vogue.

Sur son compte Twitter comme dans ses vidéos, « Pascal OP » insulte, gifle ou crache sur les femmes tournant pour lui. En 2013, il expliquait qu’« être gay c’est vraiment une maladie », proposait aux Syriennes réfugiées en France de rejoindre ses tournages ou arborait une « blackface », un maquillage noir sur la figure. Il appelle « Bamboula » ou « singe » les acteurs noirs de ses vidéos. Lors de ses auditions, il a eu beau assurer qu’il ne faut pas le confondre avec son « personnage » de méchant, et séparer l’homme de l’artiste, cette facette ne le quitte jamais.

Piège virtuel

A Reims, Julien D., sous son identité féminine d’Axelle Vercoutre, entre en contact avec « Pascal OP ». Ni l’un ni l’autre ne sauront dire aux enquêteurs à quel moment s’est noué cet étrange pacte entre « recruteur » et « producteur ». Ce dernier admet, du bout des lèvres, avoir compris qu’Axelle n’était pas une femme, mais tous deux nient s’être un jour rencontrés. Une certitude : ils entretiennent une correspondance régulière, car Axelle est devenue, au fil du temps, l’un des grands atouts de « Pascal OP » dans cette industrie du porno dit « amateur », qui repose sur cette main-d’œuvre difficile à enrôler : des jeunes femmes n’ayant jamais eu de rapport sexuel tarifé.

Le piège virtuel construit par Julien D. se referme. Face aux difficultés financières de ses « proies », il a une solution toute trouvée, qu’il met parfois plusieurs mois à amener dans la conversation, par l’intermédiaire d’Axelle, son double virtuel : le métier d’« escort » – prostituée de luxe –, dont elle fait un récit idyllique. Quelques passes avec de beaux et riches hommes lui suffisent, paraît-il, à engranger des milliers d’euros. Ainsi, alors qu’Héloïse s’enfonce dans la précarité, Axelle revient souvent à la charge. « Elle prend le contrôle de mon cerveau, elle me met dans la tête des choses, elle me manipule totalement. (…) Je commence à baisser la garde, je lui demande : “Est-ce que tu es sûre ?” Je commence à croire à ses solutions, et puis, directement, elle continue dans le fait que ça va être merveilleux, tout ce que je vais pouvoir ensuite faire pour ma sœur, lui payer le voyage de ses rêves… »

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Les auditions de la cinquantaine de victimes donnent une idée des manœuvres de Julien D. pour faire sauter les digues mentales de ces jeunes filles, qui n’avaient jamais envisagé – toutes le martèlent – la prostitution comme une solution à leurs soucis. Axelle, l’amie à distance, présente cela comme une expérience agréable. « Elle m’a vendu le truc comme du plaisir : “Lâche-toi !” C’était de la manipulation positive au début », raconte Karine. Soraya : « Pendant très longtemps, je considère que ça n’est pas pour moi et je ne pense pas être capable de le faire. C’est elle qui prend contact avec moi quasiment tous les jours. Elle me dit fréquemment qu’elle a couché le jour même avec des hommes et qu’elle a gagné 2 000 et 3 000 euros. Elle n’omet jamais de me dire que c’est super facile, super cool, et que ça dure dix minutes. » A une jeune fille qui n’a plus de quoi payer son loyer, Axelle envoie des images de liasses de billets. Marianne n’arrive pas à assumer seule son enfant et s’en ouvre à Axelle, qui l’inonde bientôt de photos de Miami. « Je me suis dit : “Pourquoi pas, une fois, pour avoir de l’argent.” »

Les proies sont mûres. Commence alors la deuxième phase du stratagème. Axelle transmet le contact d’un certain Sébastien Laurent, lequel est, en réalité, toujours Julien D., sous une autre identité, masculine cette fois. Il se présente comme le patron très professionnel d’une agence d’escorts. Au téléphone, il leur propose de rencontrer l’un de ses clients, très riche, installé à Reims. Le tarif promis est élevé, plusieurs milliers d’euros à chaque fois. A charge pour elles de se rendre sur place et de réserver, à leurs frais, une chambre d’hôtel parmi une liste d’établissements fournie. Elles seront payées a posteriori par un coursier.

« Je le trouvais répugnant »

Dans ces chambres d’hôtel de moyenne gamme, elles découvrent toutes le même client. Devant les gendarmes, Soraya le décrit ainsi : « Cet homme fait environ 1,80 mètre, blanc, assez pâle, de corpulence moyenne, brun les cheveux châtains courts. Il portait une barbe courte taillée brune. Il me semble qu’il était en jean. C’était quelqu’un de normal. » Julien D., évidemment. Ce premier rapport sexuel marque ce que les spécialistes de telles violences appellent le « viol d’abattage », commis par le recruteur sur la victime pour la faire entrer dans son réseau. Cette même étape se retrouve dans les affaires plus traditionnelles de proxénétisme impliquant les organisations criminelles albanaises ou nigérianes. « Le premier viol joue une fonction bien précise, celle de casser les défenses et les résistances des femmes, c’est une déflagration psychique pour les victimes, donc une soumission acquise pour les proxénètes », précise Me Lorraine Questiaux, avocate de plusieurs plaignantes.

Là encore, les dizaines de récits de ces femmes qui ne se connaissent pas convergent. Héloïse : « J’étais un peu paralysée. Ç’a été pire pour moi, parce que ça a rendu la chose encore plus violente. Il était très violent. J’avais des bleus partout à la fin. Avec sa force, il me serrait avec ses mains, j’avais la sensation qu’il essayait de détruire mon corps. » Soraya : « Embrasser, c’était la dernière chose que je pouvais garder pour moi, mais même ça, il a réussi à me l’enlever. »

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« Il y a une phrase que je leur disais toujours quand j’arrivais en rendez-vous : “Ce n’est pas parce que j’ai payé que tu m’appartiens et que tu dois faire tout ce que je te dis” », s’est défendu Julien D. devant les juges d’instruction. Alors qu’il est mis en examen pour viol sur toutes ses victimes, il évoque des « relations consenties ». Au contraire, ses victimes certifient qu’aucune de leurs demandes n’a été respectée, notamment en ce qui concerne la sodomie, imposée presque à chaque fois, malgré des refus clairs. Lara : « Je lui ai demandé de se laver avant. II ne voulait pas. II me dégoûtait, je le trouvais répugnant. II a essayé de m’embrasser et là je ne me suis pas laissé faire. Je l’ai repoussé. » Les enquêteurs notent qu’elle se met à pleurer. « Je n’aime pas parler de ça. II y a eu pénétration, et il m’a prise par-derrière alors que ce n’était pas prévu, alors que moi je n’avais jamais fait ça. »

Recruteur, client, le père de famille semble n’avoir aucune limite et jongle avec ses différents personnages. Ainsi, alors qu’elle attend dans sa chambre d’hôtel rémoise, Emilie reçoit des messages de son amie mannequin. « Il y avait Axelle qui me rassurait par SMS et qui me disait de boire de l’alcool », dit-elle aux gendarmes. A la différence des autres, elle reçoit ce jour-là une consigne spéciale : se bander les yeux. Le client serait une célébrité, désireuse de préserver son identité. La réalité est plus triviale. Julien D. et Emilie se connaissent et sont amis. Après cette mauvaise expérience, c’est même vers lui qu’elle se retournera pour se confier, « parce qu’il avait toujours été adorable ».

La honte et la colère

Le rapport consommé, les draps chiffonnés, le faux client se rhabille et disparaît. La plupart des plaignantes s’effondrent, blessées. « Quand il est parti, j’ai pris une douche, je suis restée des heures et des heures sous la douche et je ne sentais même plus que l’eau était devenue froide, évoque Karine. Je me suis retrouvée assise sous la douche sous l’eau froide. Les lèvres bleues. Je me frottais pour me laver, j’avais des griffures partout, je me suis défoncé les dents avec mon dentifrice. » Devant les juges, Julien D. peine à se confronter à ces récits et à ce qu’ils signifient pénalement. « J’ai la naïveté de croire sur le moment que ça ne se passait pas de cette manière-là pour elle, sincèrement », répond-il quand le mot « viol » est posé. Contacté par Le Monde, son avocat n’a pas répondu.

Julien D. conteste le viol, mais ne nie pas l’arnaque. Sitôt le client parti, les femmes reçoivent un texto : le coursier, porteur du paiement, a soi-disant été interpellé par la police, il faut effacer tous les échanges et quitter immédiatement la chambre, elles ne verront jamais la couleur de l’argent. A la honte s’ajoute, pour les victimes, la crainte de la police. « J’ai pris peur, confie Soraya aux enquêteurs, j’ai cherché par tous les moyens à rentrer à la minute même chez moi. Je ne voulais absolument pas dormir dans cet hôtel où, aujourd’hui je peux le dire, j’ai été violée. Je n’ai pas dormi de la nuit. » La honte, donc, et aussi la colère. Celle de Marianne, qui était passée dans une boutique de Reims afin de faire mettre de côté des vêtements pour son fils qu’elle comptait acheter avec l’argent promis. Héloïse, elle, avait réservé un voyage pour sa sœur, qui venait de perdre son compagnon. « Je rentre complètement détruite, paniquée, vide de tout. Je suis détruite d’avoir fait ça pour ne même pas pouvoir finalement sauver ma sœur. »

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Violées et escroquées, elles se tournent vers la seule personne à même de les comprendre, Axelle. « Suite à mon expérience de Reims, j’étais au fond du seau, encore plus isolée dans mon mal-être, et il n’y avait qu’elle pour me rassurer », indique Héloïse. Sous les traits de la mannequin, Julien D. assure en quelque sorte le service après-vente de ses agressions. « Le bourreau et la psy », selon la formule de Karine. Le voici maintenant dans le rôle de la confidente qui, à distance, s’enquiert des performances sexuelles du client, c’est-à-dire des siennes, puis feint de tomber des nues. « Je n’ai jamais reçu de truc comme ça », assure Axelle à Emilie, désespérée devant le faux message évoquant l’arrestation du coursier. « Puce, je ne sais pas quoi te dire, vraiment première fois que je reçois une telle nouvelle. » « On ne se lâche pas, je serais toujours là », écrit-elle à Fabienne, qui a creusé son découvert en déboursant 300 euros pour faire garder son enfant et payer son séjour à Reims.

Devant les juges, Julien D. a reconnu la quasi-totalité des faits, tout en assurant n’avoir jamais « forcé » aucune fille. « Qu’est-ce qu’un prédateur, pour vous ? », lui ont demandé les magistrats. « Je vois ça comme quelqu’un qui s’en fout de ses victimes, (…) qui n’a aucun remords, aucun scrupule, mais je ne me reconnais absolument pas là-dedans. C’est plus complexe. Bien évidemment, ce n’est pas ce qui ressurgit lorsqu’on lit toute cette histoire à froid, parce qu’il y a un caractère sexuel qui est là et qui est présent, mais j’étais plus dans une recherche d’affect, même si ça peut paraître surprenant (…), et j’ai vraiment de la culpabilité et de l’empathie pour ces jeunes femmes. »

Sidération

C’est également au nom de cette supposée empathie qu’il justifie la suite de son activité pour le réseau. Car Julien D. n’en a pas fini avec ses victimes. Elles se plaignent auprès d’Axelle et se disent encore plus endettées ? Cela tombe bien, cette dernière a une proposition, un autre « plan » : elle connaît un réalisateur de films pornographiques « très cool », qui travaille pour un site privé et sélect, réservé à quelques abonnés et basé au Canada. Moins bien rémunéré que la prostitution certes, mais 500 à 1 000 euros – un prix qu’il gonfle volontiers, les jeunes femmes touchant souvent moins – pour quelques scènes, c’est toujours ça de pris.

La confidentialité des vidéos devient un argument majeur, mais mensonger. Ainsi, cet échange en date d’octobre 2016, avec Marion : « Ça reste entre toi et moi, j’en parle jamais. C du x amateur anonyme. Pas du jacquie michel quoi mdr. C pour un site privee payant au canada mais c tourner à paris Totalement anonyme j’insiste aucune image visible sinon je ferais pas (…) Super ambiance à la cool. » Les plaignantes résistent, mais l’insistance et la sidération du viol de Reims les incitent à basculer. « Dès lors que j’ai subi un premier viol, on peut tout faire sur mon corps, ce n’est pas grave, c’est le ressenti que nous avons, aussi dissocié soit-il », décrit Soraya. « Avec le tournage, tu ne penseras plus à l’autre, à celui qui t’a violé à Reims », suggère encore Axelle à Karine.

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Début octobre 2016, le recruteur crée, sous l’identité d’Axelle, une conversation Facebook à trois, avec le producteur « Pascal OP » et Soraya : « Coucou Pascal, je te présente Soraya dont je t’ai parlé. C’est elle ma petite sœur de cœur, comme elle comme pour moi en mode anonyme avec le meilleur du meilleur. C’est une petite perle. Je lui ai dit que vous savez y faire sans brusquer ou forcer. » Une fois qu’elles sont convaincues, Axelle envoie ses victimes à « Pascal OP », prêtes à tourner dans ses films X. Sa contribution au réseau est gratuite : les gendarmes n’ont pour l’instant retrouvé aucune trace de rétribution financière du producteur à son recruteur.

« Ça me déculpabilisait un petit peu qu’elles puissent au moins toucher de l’argent par ce biais-là » , argumente Julien D. L’empathie encore. Les échanges qu’il a eus avec « Pascal OP » racontent une autre histoire. Ce dernier a révélé la teneur de leurs conversations face aux enquêteurs lors de sa garde à vue, notamment le fait que Julien D. demandait que les vidéos soient toujours plus « hard » pour les victimes. Il avait même ordonné à « Pascal OP » d’arrêter de « filer » ses proies à l’un de ses associés, jugé trop gentil avec elles.

 

Episode 2 : Dans le porno français, une mécanique des larmes et de la violence

Par Nicolas Chapuis , Lorraine de Foucher et Samuel Laurent

« Plaintes contre X » (2/4). L’enquête judiciaire d’une ampleur inédite à laquelle « Le Monde » consacre une série d’articles lève le voile sur les méthodes de certains personnages de ce milieu pour contraindre leurs victimes à accepter des pratiques toujours plus dégradantes.

Au détour d’une boucle de la Seine, la petite ville normande des Andelys se dévoile. Du Moyen Age, cette commune de l’Eure a hérité son donjon, sa collégiale, ses remparts. Et de la période récente, le pavillon de Pascal Ollitrault, 60 ans, producteur star du milieu du porno, mis en examen et incarcéré pour des dizaines de viols de jeunes femmes. Sur la grille rouillée, « Pascal OP », son surnom dans le milieu, a tracé l’inscription : « ATTENTION CHIENS ». A l’intérieur, le salon est presque vide, réservé à ses trois molosses. Des couteaux ont été scotchés au mur. Au fond, le bureau avec, sur l’étagère, un godemiché noir. Des caisses servent à stocker les centaines de vidéos de French Bukkake, son site pornographique. Devant l’entrée stationne un camping-car noir. « Délabrement total », notent les gendarmes dans leur procès-verbal.

Lorsqu’ils perquisitionnent sa maison, ce 13 octobre 2020, cela fait déjà quelques mois que les enquêteurs de la section de recherche de Paris surveillent Pascal Ollitrault, et d’autres hommes, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour des chefs de « viols en réunion », « traite aggravée d’êtres humains », « proxénétisme aggravé », « blanchiment », « travail dissimulé » et « diffusion de l’enregistrement d’images relatives à la commission d’une atteinte volontaire à l’intégrité de la personne ».

Une plongée dans cet énorme dossier judiciaire aide à décrypter les rouages d’une mécanique au service des plus grands diffuseurs français de porno, décidés à satisfaire coûte que coûte les millions de consommateurs de ces vidéos n’ayant d’« amateur » que le nom et la qualité technique. Des mois durant, les gendarmes ont parcouru le pays pour interroger les victimes. Si chaque histoire est singulière, la cinquantaine de témoignages sur procès-verbal esquissent un récit polyphonique où se dessine un système qui consistait à violer à trois reprises le consentement des victimes : au moment du recrutement, durant les tournages et lors de la diffusion des vidéos.

La violence des traumatismes a éclaté leur mémoire. Ainsi, Imane – les prénoms des victimes ont été modifiés –, une Marseillaise de 22 ans, confie n’avoir gardé que des « flashs » de ses trois jours en enfer. A l’été 2015, elle venait de perdre son compagnon et n’avait « plus goût à la vie ». Le genre de failles exploitées par le « recruteur », Julien D., sous le pseudonyme féminin d’Axelle Vercoutre, pour mettre en confiance ses proies, en échangeant durant des semaines, parfois des mois, des messages sur les réseaux sociaux.

Le supplice dure des heures

Après un long travail de sape, Imane accepte de faire une seule vidéo pour « Pascal OP ». Les conditions : un partenaire unique, des rapports limités à la pénétration vaginale et à la fellation, le tout avec préservatif. On lui assure que la séquence sera réservée à un site canadien ultraconfidentiel. Aucun risque qu’elle sorte ailleurs. C’est faux : ces images seront diffusées dans le monde entier, sur tous les plus grands sites pornographiques, et vues par des centaines de milliers de personnes.

Les jeunes femmes, dont la situation financière est souvent précaire, sont appâtées par des promesses de rémunération allant jusqu’à 2 000 euros. « Pascal OP » omet de préciser qu’en réalité son tarif est fixé autour de 250 euros pour une seule scène. Mais pour l’instant, face à Imane, il affiche un visage avenant. Il lui fait tourner une vidéo où elle dit être consentante et n’avoir consommé ni alcool ni stupéfiants. La voici bientôt dans un appartement parisien face à un premier partenaire. Puis elle tourne d’autres scènes, avec deux hommes. Une sodomie, qu’elle refuse avant de céder. « Comparé à la suite, c’était propre », dira-t-elle aux enquêteurs.

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« Pascal OP » la conduit aux Andelys. « Là, il a commencé à me parler très mal. » Le producteur l’entraîne dans une chambre au prétexte de faire une vidéo, mais la caméra ne tourne pas : il lui extorque un rapport sexuel. Le lendemain matin, « Pascal OP » refuse de la payer. Elle doit faire la vaisselle. Les souvenirs d’Imane sont parcellaires : une scène tournée dans la voiture sur la route pour Paris, une autre à l’arrivée dans un appartement, « type location, où il n’y a pas grand-chose », sinon trois hommes, qu’on ne lui présente pas. « J’avais mal, je leur ai dit, mais ils s’en foutaient. Là, ils m’ont tout fait, plusieurs en même temps, double pénétration, sodomie, etc. » Percluse de douleur, elle tente de protester. « Je me suis un peu énervée, mais ils m’ont forcée, ils ont appuyé ma tête contre le sol et ils ont continué. »

D’autres flashs lui reviennent. Le producteur est en colère, la menace de mort, de la livrer à ses chiens. Puis, alors qu’elle pense enfin pouvoir rentrer à Marseille, il lui impose de tourner une dernière séquence, l’acmé de ses films, le bukkake, cette pratique consistant à faire éjaculer des dizaines d’hommes sur la même femme. « C’était un hangar, dans une vieille casse de voitures abandonnée. » A l’intérieur, une quarantaine d’individus cagoulés attendent. « Il me dit : “C’est des gars des quartiers, ils sont là pour te faire du mal, pour te faire du sale.”  » Imane est terrifiée. « C’est un cauchemar. Je dois me mettre à genoux, toucher tout le monde, me laisser faire. » Le supplice dure des heures. Le producteur veut la garder encore, un homme finit par l’exfiltrer du hangar. Elle ne sera jamais payée.

Le piétinement du consentement

« Je conteste tous les faits, elle a été payée, elle a signé tous les contrats, rétorque « Pascal OP » devant la juge d’instruction. Pour moi, sur la vidéo, si je me rappelle, elle avait le sourire, ça s’est bien passé. » Ce sera peu ou prou sa réponse face aux récits très similaires des 52 autres victimes. Réalisés dans des locations saisonnières, des squats, des hôtels, des forêts ou des camping-cars, les tournages sont ultra-low cost. Plusieurs femmes ont la même expression : le sentiment d’avoir été réduites à des « morceaux de viande ».

Pascal Ollitrault et ses associés se retranchent derrière la même défense : pourquoi, dès lors, n’avoir pas quitté les tournages ? L’état de sidération, sans doute. « Il y a cette pression de (…) tous ces hommes dans une pièce, on est la seule fille », analyse Héloïse. Surtout, le personnage du producteur les effrayait. Il y a aussi les soupçons de soumission chimique. Les analyses des cheveux de Samira, la dernière victime en date, présentent des traces de zolpidem, un hypnotique. « Pascal OP », lui, dément avoir administré la moindre substance à qui que ce soit.

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A l’inverse, les femmes sont nombreuses à parler de stupéfiants. Selon elles, le producteur leur faisait boire de l’alcool et prendre de la cocaïne, drogue dont il serait lui-même un grand consommateur, ce qu’il nie. « Il m’a dit : “Si tu ne bois pas tout ton verre, on ne tourne pas” », se souvient Maud. « J’ai réalisé que j’allais vivre un des pires moments de ma vie, ajoute encore Héloïse. Quand Pascal, à 8 heures du matin, me dit de boire et de prendre de la cocaïne, bah je m’exécute. »

Cette violence se voit à l’image. Dans les vidéos de French Bukkake, les larmes et la douleur alimentent le script de l’ingénue qui subit la domination masculine. Le piétinement du consentement des femmes, ficelle scénaristique de « Pascal OP », se retrouve dans son obsession pour la pénétration anale imposée, même hors caméra, comme le relate Jeanne : « Il m’a fait comprendre que je n’avais pas le choix. J’ai laissé faire parce que j’étais épuisée. » Les jeunes femmes ne sont pas non plus protégées contre les MST. « Ils m’ont tous pénétrée sans préservatif », se souvient Cécile. « Pascal OP » l’enjoint de sourire malgré la douleur. Devant les juges, ce dernier a contesté tout comportement sexuel répréhensible et tenté de minimiser la « visibilité moyenne » de son site. Pourtant, interrogé en 2017 par Charlie Hebdo, il revendiquait fièrement 200 000 visiteurs par mois.

Le troisième homme, l’associé

Dans son ombre s’active souvent un autre homme : Mat Hadix de son nom de scène, 38 ans, crâne rasé et barbe de trois jours. Après le recruteur (Julien D., sous le faux profil d’Axelle Vercoutre) et le producteur (« Pascal OP »), c’est le troisième personnage de cette bande organisée : l’associé. Son rôle : fournir les caméras, louer les appartements. En échange, « Pascal OP » mutualise la « matière première » (les femmes) piégée par Julien D. Quand une fille pense réaliser une vidéo, elle tourne en réalité plusieurs scènes pour diverses productions.

Plus récent que « Pascal OP » dans le métier, Mat Hadix travaille pour les pontes du porno français, notamment pour Dorcel Vision, la plate-forme de vidéos à la demande du producteur français Marc Dorcel, sur laquelle ont été publiées nombre de vidéos de victimes. Ces dernières se retrouvent aussi dans le magazine Union. Mat Hadix est, par ailleurs, l’un des producteurs les plus actifs pour Jacquie et Michel, le principal site de porno dit « amateur » français, sur lequel « Pascal OP » a également été diffusé.

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Contactée par Le Monde, la société qui gère Jacquie et Michel n’a pas répondu, tout comme Union. Dorcel se défend de toute responsabilité. « Nous n’avions évidemment pas connaissance des suspicions de recours à de telles pratiques et nous n’avons, à ce jour, reçu aucun signalement d’aucune sorte quant aux productions que nous avons diffusées », affirme la responsable de la communication de la société, qui précise n’avoir travaillé qu’avec Mat Hadix, et pas avec « Pascal OP », dont ils jugeaient les vidéos « extrêmes et dégradantes ». Un reportage de « Dorcel TV » en 2012 montre pourtant un tournage de bukkake. L’entreprise assure qu’il s’agissait d’un « travail d’enquête journalistique » qui « alerte justement sur le caractère extrême » de ces productions. On peut en douter au vu du texte du début de la vidéo , annonçant un contenu « drôle, provocant, écoeurant... et à prendre au second degré ».

La relation entre Mat Hadix et « Pascal OP », qui partagent leurs tournages, est pourtant au cœur de ce dossier, révélé par Le Parisien. Mat tient la caméra quand Pascal s’invite dans la scène en cours, sans prévenir les femmes. Le premier a toujours un billet sur lui quand le second est à court d’argent ; il est aussi là pour recoller les morceaux quand il brusque trop une fille. Mat Hadix réalise des scènes classiques quand « Pascal OP » fait sa notoriété sur la violence. Le bon et la brute ? Les enquêteurs semblent surtout penser que les deux interprétaient à parts égales le rôle du truand.

« Ce n’était pas convenable »

Confronté à une avalanche de témoignages et à des échanges embarrassants avec Julien D., Mat Hadix esquisse un mea culpa : « Je commence à comprendre que des femmes qui viennent sur des tournages sans savoir ce qui se passe, sans connaître le nombre d’hommes, ni les pratiques, ce n’était pas convenable. » Il rejette les accusations de viol. Pourtant, les témoignages le chargent. « Mat, il forçait. Il restait derrière et insistait », raconte Clara, qui a dit non à plusieurs reprises. Contactée par Le Monde, l’avocate de Mat Hadix n’a pas souhaité s’exprimer à ce stade. Celle de Pascal Ollitrault n’a pas répondu. « Jamais le porno n’avait été associé au viol. Dans ce dossier, il y a un tel vice à construire des stratagèmes, une telle atteinte aux femmes, j’ai mal à mon genre », réagit, pour sa part, Me Quentin Dekimpe, côté partie civile.

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Parfois, les victimes tentent de se rebeller. Les deux producteurs sortent alors la carte de la meilleure amie virtuelle : Axelle. Au deuxième jour de tournage, Karine s’échappe dans les toilettes. « Pascal OP » menace de la jeter dehors sans ses affaires et de diffuser ses vidéos. Par messages, Axelle la convainc de poursuivre le tournage coûte que coûte. Au bout de deux, trois jours, de dizaines de pénétrations non consenties, la lumière se rallume enfin. Les victimes, exsangues, dépossédées, sont libérées sans la moindre considération. Avant de partir, elles sont payées en liquide, souvent moins que la somme convenue, contre la signature non pas d’un contrat de travail, mais d’une autorisation de diffusion immatriculée au Canada. « Pascal me ramène à la gare. C’est limite il me jette », se souvient Karine. Héloïse est déposée dans une gare abandonnée, après un bukkake. Un participant lui a volé son manteau.

Une fois relâchées par le réseau, les femmes découvrent qu’Axelle est désormais injoignable sur Internet. De fait, Julien D. est occupé à autre chose : il visionne les images de leurs « prestations », envoyées par « Pascal OP » et Mat Hadix. C’est sa seule rémunération : regarder ses proies livrées à French Bukkake. Devant les juges, il insistera sur son sentiment de culpabilité : « Ça peut vous paraître insignifiant, mais je n’arrivais pas à mettre le son. »

 

Episode 3 : Pratiques dégradantes et arnaques en série : les supplices de l’internationale du porno

Par Samuel Laurent , Lorraine de Foucher et Nicolas Chapuis

 

Dans sa boutique du centre de Paris, Vincent – le prénom a été modifié – réalise des examens de la vue pour ses clients. Mais cet opticien respectable à la ville a une autre profession, non déclarée : assistant sur des tournages pornographiques hardcore. A 31 ans, il vit encore chez ses parents et adore les bukkake, ces scènes violentes où une jeune femme se fait éjaculer dessus par des dizaines d’hommes. Cette passion l’a même conduit à faire cinq fois le voyage en Espagne la même année, en 2018, pour participer à des « événements » de ce type, organisés par un site international spécialisé : Premium Bukkake.

C’est cette année-là, dans un hangar espagnol, que cet amateur de porno est devenu membre d’un réseau. L’opticien est repéré par les proches de Krystofer Lorens, un important producteur, surnommé « le Russe » et basé en République tchèque, plaque tournante du porno en Europe. Lorens est en quête d’un relais en France. Vincent pense tout de suite à Pascal Ollitrault, alias « Pascal OP », célèbre réalisateur et acteur français, spécialisé dans les bukkake. « Je l’ai contacté et lui ai demandé s’il était intéressé. Ils ont trouvé un terrain d’entente en juin 2019 », racontera Vincent aux gendarmes.

Comme l’opticien parle anglais, le voici promu « intermédiaire » entre « le Russe », et « Pascal OP ». Ce poste d’assistant lui vaut aujourd’hui d’être mis en examen pour viol, traite d’êtres humains aggravée et proxénétisme aggravé, dans le cadre d’une information judiciaire autour des activités du site French Bukkake. Mais il n’est que l’un des protagonistes de cette affaire de grande ampleur révélée par Le Parisien, dans laquelle huit producteurs et acteurs sont mis en cause à ce jour.

Le passage du site français sous bannière tchèque, en 2019, est révélateur des bouleversements du secteur dans les décennies précédentes. Entré dans les foyers avec la VHS dans les années 1980, le porno subit une recomposition majeure, en 2006, avec la naissance de YouPorn, première plate-forme spécialisée. Avec le haut débit et le streaming, le porno se démocratise, mais surtout se précarise. Les sociétés de production s’agrègent pour survivre. Les budgets de tournage se dégradent et, dans leur sillage, les conditions de travail des femmes, contraintes à des scènes de plus en plus violentes, afin d’appâter l’internaute et sa carte bancaire, pour des cachets de plus en plus faibles.

De la théorie à la pratique

Aux productions « professionnelles », dont Marc Dorcel est le principal représentant en France, s’ajoutent des tournages dits « amateurs », au départ des vidéos de couples et de libertins, prêts à tourner pour le plaisir. Le site Jacquie et Michel est le mastodonte de ce secteur, qui prospère sur le fantasme de la « voisine » délurée, du porno « sympa », à la portée de tous. Du moins en théorie. Car ce script ne correspond pas à la réalité d’une entreprise très lucrative, au rendement industriel. Rapidement, la PME rencontre un gros succès avec ses vidéos vendues à la pièce ou par abonnement. Des centaines de milliers de clients, un chiffre d’affaires de 25 millions d’euros en 2017, et un slogan devenu référence : « On dit merci qui ? Merci Jacquie et Michel ! »

La marque appartient à la société Ares, dirigée par Michel P. et son fils Thibault. Eux-mêmes se présentent comme « le groupe leader de la pornographie en France », à la tête d’une trentaine de sites. La société ne produit pas elle-même les vidéos mais les achète à de petites structures, comme celle de Mat Hadix, producteur et acteur mis en cause dans l’information judiciaire ouverte sur l’affaire French Bukkake. Mat Hadix travaille également pour Dorcel Vision, une plate-forme de vidéo à la demande, et pour le magazine Union. Dans le monde du porno, « amateur » et « professionnel » sont plus des labels marketing que des normes comptables.

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Que savaient ces sociétés des conditions dans lesquelles se déroulaient les tournages de Mat Hadix et de Pascal Ollitrault, et de ce que les jeunes femmes subissaient ? Interrogés par les juges d’instruction, les deux hommes ont refusé de jouer les fusibles pour une industrie qui se veut vertueuse. « Tous les hardeurs professionnels étaient au courant, et même toutes les productions françaises étaient au courant » des mensonges destinés à piéger les femmes, a lancé Pascal Ollitrault.

Sur les écoutes téléphoniques, Mat Hadix, en discussion avec son ami Adrien – le prénom a été modifié –, fustige l’hypocrisie du patron de Jacquie et Michel, qui s’abrite, selon lui, derrière son rôle de diffuseur et prétend vouloir mettre en place une charte de bonnes pratiques. « Michel finira par aller en garde à vue, rassure-toi. Crois pas que ça va lui passer au-dessus du nez. Et puis, il ne peut pas se cacher, il ne peut pas se cacher éternellement, hein. »

Les exigences du « Russe »

Dans une autre conversation, cette fois avec son père, ce même Mat Hadix affirme avoir menacé Michel P. de raconter tout ce qu’il sait à un journaliste pour obtenir de l’argent : « Il me fait : “Ah non, mais le prends pas comme ça.” Je fais : “Mais tu sais quoi, y a un moment, je t’ai rendu plus que millionnaire, y a un moment, t’es en train de me casser les couilles pour 2 000 balles.” » Parallèlement au dossier French Bukakke, une enquête préliminaire est ouverte au parquet de Paris contre Jacquie et Michel, pour des faits similaires, et confiée au premier district de la police judiciaire de Paris. Contactée, la société n’a pas répondu aux nombreuses questions du Monde.

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Comme n’importe quel sous-traitant, les petits producteurs doivent jongler avec les coûts pour remplir le cahier des charges fourni par les gros donneurs d’ordres. Sur ses tournages, Mat Hadix doit se débrouiller avec les contraintes de diffusion de Dorcel ou de Jacquie et Michel. Pascal Ollitrault, lui, doit faire avec les exigences du « Russe », Krystofer Lorens. Pour chaque tournage de bukkake en France, dont il récupérera les images après, ce dernier réclame au moins 40 hommes. A charge pour « Pascal OP » et Vincent de trouver des participants, des consommateurs de porno qu’ils invitent à franchir le pas dans des boucles WhatsApp. Les gendarmes ont identifié plus de 500 individus, de tous les profils sociaux, ayant pris part à de telles séances d’éjaculation collective sur des femmes qui n’avaient souvent pas consenti à cette pratique.

Krystofer Lorens exige aussi des dépistages systématiques sur les tournages. Trop compliqué pour « Pascal OP », qui demande à Vincent de fabriquer un logiciel permettant de produire de faux tests pour les maladies sexuellement transmissibles (MST). « J’ai conscience que c’est immoral et que c’est dangereux pour la santé des actrices », admettra l’opticien devant les gendarmes. Plusieurs femmes finissent à l’hôpital, infectées par des MST. Peu regardant, Vincent autorise les vigiles qu’il recrute pour sécuriser les bukkake à y participer. Il n’est payé qu’une fois sur deux, 300 euros. Mais comme les producteurs, comme les « acteurs », son mobile est avant tout sexuel.

Circuits opaques

Vincent a peur de Krystofer Lorens, qui l’a menacé de venir chez lui si ses consignes ne sont pas respectées à la lettre. « Pascal OP », malgré son personnage viriliste, paraît le craindre lui aussi. Il parle dans ses SMS de « mafia russe ». Cette piste internationale n’a, pour l’instant, pas été explorée par les gendarmes, déjà débordés par l’ampleur du volet français. Derrière Premium Bukkake, on trouve des sociétés tchèques aux noms vagues : European Top Project SRO, dirigée par Krystofer Lorens, mais aussi Van der Kisok SRO, dirigée par un autre Lorens, Enriko. La mystérieuse famille Lorens gère de nombreuses entreprises, dont les administrateurs changent régulièrement. Contacté par Le Monde, Krystofer Lorens a expliqué se « conformer aux standards élevés du marché et à toutes les contraintes légales » de ce secteur. L’avocat de Vincent n’a pas souhaité répondre.

Côté français, le montage de la société de Pascal Ollitrault rappelle aussi les circuits opaques de la criminalité. Le site est officiellement la propriété d’une société québécoise, Pinkdev, administrée par un ami de Pascal Ollitrault qui vit au Canada. « Pascal OP » a créé également des sociétés au Delaware (Etats-Unis) ou à Malte. Comme il est régulièrement interdit bancaire, il fait parfois transiter des fonds via les comptes de son fils. Malgré cette internationalisation, les gendarmes peinent à retrouver de grands flux financiers. Son site a généré 240 000 euros entre 2015 et 2020. Le sexagénaire a-t-il organisé son insolvabilité ? Des huissiers de justice frappent régulièrement à la porte de sa maison de l’Eure.

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« Pascal OP » et ses associés ont trouvé un autre moyen de rentrer dans leurs frais, encore sur le dos des victimes. Violées dans des hôtels de Reims, puis sur les tournages, rentrées chez elles en miettes et traumatisées, elles vont désormais subir le troisième outrage, numérique cette fois. Les vidéos, supposément confidentielles, atterrissent d’abord sur le site de French Bukkake ou celui de Dorcel Vision, puis sont aspirées par toutes les plates-formes de diffusion en ligne. La société Dorcel affirme ne pas avoir eu « connaissance des suspicions de recours à de telles pratiques » et avoir retiré toute la production de Mat Hadix, sitôt l’affaire médiatisée. Mais la plupart des images sont toujours en accès libre sur des dizaines de sites.

A la seconde où elles sont publiées, les scènes circulent à une vitesse vertigineuse, ce qui témoigne d’un goût très répandu pour ces séquences humiliantes. Soraya – les prénoms des victimes ont été modifiés – a vu un homme la reconnaître et la poursuivre pour lui demander un rapport sexuel. Elle doit déménager. Héloïse reçoit des propositions de prostitution de l’équipe de foot de sa ville, puis doit quitter son emploi : sa vidéo a fait le tour de son entreprise. Giorgia démissionne elle aussi : employée à l’accueil d’une agence bancaire, elle se met à recevoir des mails suggestifs de ses clients. Toutes sont harcelées, confrontées à des dizaines de messages d’insultes, de photos de sexes masculins…

Les serveurs du bout du monde

Elles se retournent alors vers « Pascal OP » : « Je t’en prie, peux-tu la faire supprimer, c’est vraiment l’enfer et le harcèlement envers moi et ma famille », écrit Jade, en mars 2020. Le producteur la fait attendre, puis écrit : « La vidéo est désactivée… provisoirement. » « Comment ça ? », s’étonne Jade. Il exige 2 500 euros pour supprimer les deux vidéos, une somme largement supérieure à ce qu’elle a perçu et que Jade n’a pas. « Trouve une solution », rétorque le producteur.

Par SMS, Marianne le supplie de supprimer les images, qui ont déjà emporté son couple. « Je vais sûrement perdre la garde de mon enfant » , implore la jeune femme. « N’oublie pas tes virements », répond le producteur. Elle aussi doit payer 2 000 euros. Le prix comprend la suppression sur le site French Bukkake, mais pas sur les plates-formes qui les ont déjà aspirées vers des serveurs au bout du monde. Elles sont devenues impossibles à effacer. Soraya décrit une scène dans la voiture de « Pascal OP », devant un Quick. « II m’a dit que pour supprimer les vidéos, il fallait payer 3 500 euros. Je lui ai dit que c’était plus que tout ce que j’avais gagné dans cette affaire. C’est là qu’il m’a proposé d’être à sa disposition, pendant un temps indéfini, pour lui faire plaisir quand il en a envie. » Elle refuse.

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Même processus d’extorsion pour Mat Hadix. Dans un échange avec Karine, qui exige elle aussi la suppression de ses vidéos, celui-ci prévient : « On ne retire pas les vidéos sans argent. » Parfois, le producteur fait même l’intermédiaire pour le compte de Jacquie et Michel. Dans un échange de SMS de 2017, il demande 4 000 euros à une femme qui souhaite voir sa vidéo supprimée de cette plate-forme. Interrogées par Le Monde, les avocates de « Pascal OP » et de Mat Hadix n’ont pas donné suite.

C’est la dernière étape du processus. Les jeunes femmes, qui ont accepté les tournages pour gagner un peu d’argent, s’endettent pour racheter leurs vidéos et enrichir un peu plus « Pascal OP » et son réseau, qui couvrent ainsi leurs frais de tournage. Humiliation suprême pour les victimes : elles financent de fait leur propre supplice filmé.

 

Episode 4 : « Tout le monde m’a renvoyée à l’idée qu’on ne violait pas une actrice porno » : la lanceuse d’alerte et les ratés judiciaires

Par Nicolas Chapuis , Lorraine de Foucher et Samuel Laurent

 

« Plaintes contre X » (4/4). Les investigations judiciaires d’une ampleur inédite qui secouent l’industrie pornographique française, auxquelles « Le Monde » consacre une enquête en quatre volets, mettent en lumière la difficulté pour les institutions françaises de prendre la mesure des violences sexuelles qui s’y exercent.

Longs cheveux noirs et eye-liner sur les yeux, Soraya – les prénoms des victimes ont été modifiés – s’exprime posément, choisit ses mots, dégage une présence, en un mot du charisme. Elle bat en brèche l’imaginaire sexiste autour de l’actrice pornographique amatrice, un peu candide. Cela tombe bien, elle ne se considère pas comme telle, mais comme la victime de violences sexuelles de la part d’un réseau criminel. « Tu te rends compte de ce que tu as fait ? questionne son amie à la terrasse d’un café parisien. Derrière toi, il y a désormais 52 victimes. » Soraya est la « lanceuse d’alerte », la première plaignante de l’affaire qui secoue actuellement le milieu du porno français et à laquelle Le Monde consacre une enquête en quatre volets.

Fin 2016, Soraya a 23 ans et pas d’argent. Sur Internet, elle croise « Axelle », le pseudonyme sous lequel Julien D. trompe des jeunes femmes, pour profiter d’elles dans un hôtel à Reims. Avant de les orienter vers le producteur et acteur pornographique Pascal Ollitrault, alias « Pascal OP », qui gère le site French Bukkake, et son associé Mat Hadix. Soraya a subi un bukkake, cette pratique extrême importée du Japon, une séance d’éjaculation collective de plusieurs dizaines d’hommes au milieu d’un hangar de Seine-Saint-Denis, puis a dû endurer le harcèlement de tout son quartier et, enfin, une tentative d’extorsion pour racheter les vidéos, dont on lui avait promis qu’elles resteraient confidentielles.

Les 53 victimes entendues dans cette affaire témoignent toutes de l’état de dégradation psychologique dans lequel elles se sont trouvées plongées. Quelques-unes ont pensé au suicide. La plupart ne peuvent plus supporter qu’un homme les touche. D’autres sont incapables de nouer une relation amoureuse. « J’ai fait une croix sur ma vie de femme (…), j’ai fait une croix sur une vie de famille, ce qui était mon rêve à la base », décrit simplement Hélène.

Elle aussi traumatisée, Soraya tente, en 2017, d’entreprendre des démarches judiciaires. Sa façon à elle de remonter la pente. Par deux fois, elle écrit directement au parquet de Bobigny de longues lettres circonstanciées. Elle est finalement convoquée à un commissariat de Seine-Saint-Denis en 2018, deux ans après les faits. « Le premier policier m’a expliqué que lui aussi il fréquentait le milieu libertin et qu’il trouvait ça bien. Son chef m’a dit que la procureure avait été touchée par mes lettres, mais qu’elle ne pouvait rien faire. Tout le monde m’a renvoyée à l’idée qu’on ne violait pas une actrice porno. »

Signaux d’alerte ignorés

Révélée par Le Parisien, l’affaire French Bukkake, dans laquelle huit acteurs et producteurs sont mis en examen pour « viols », « traite aggravée d’êtres humains » et « proxénétisme aggravé », met aussi en lumière les difficultés des institutions judiciaires françaises à prendre la mesure des violences sexuelles. Au printemps 2020, quand les gendarmes de la section de recherches (SR) de Paris décident d’ouvrir une enquête sur « Pascal OP » et ses associés, ils passent dans le fichier des antécédents judiciaires les noms des principaux suspects. Une dizaine de plaintes apparaissent sur tout le territoire national. Autant de signaux d’alerte ignorés, à Toulouse, Brignoles (Var), Les Andelys (Eure), et surtout Reims.

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La pornographie stigmatise les femmes et discrédite leurs récits. A Reims, la ville de résidence du recruteur, Julien D., au moins trois femmes ont porté plainte. Un cas est particulièrement intéressant : celui de Jennifer. En février 2019, elle dépose plainte contre le quadragénaire, après avoir été violée, selon elle, dans un hôtel. Julien D. est auditionné au commissariat pour « viol », « proxénétisme » et « recours à la prostitution ». Le 2 juillet, il est placé en garde à vue et « reconnaît avoir utilisé le pseudonyme d’Axelle Vercoutre et avoir trompé au moins une dizaine de femmes en les faisant venir à Reims dans un hôtel pour avoir des relations sexuelles avec elles. Il ne pensait pas commettre d’infractions », écrivent les policiers. Jennifer est appelée par un agent qui lui indique que l’homme a été interpellé et qu’il ne recommencera pas. « Je me suis énervée et il m’a dit qu’il ne pouvait rien faire de plus, que l’affaire était classée. » En effet, à l’issue de la procédure, malgré l’incrimination de viol et le fait que le mis en cause lui-même ait reconnu les faits, le parquet décide d’une simple convocation par officier de police judiciaire devant le tribunal de police, qui le condamne à une amende de 1 000 euros pour recours à la prostitution. « De savoir qu’il a continué à faire des victimes après me révulse », se désole Jennifer.

Sollicité par Le Monde, le procureur de Reims, Matthieu Bourrette, défend la décision de son parquet. Pour lui, il n’y a pas eu de « surprise », l’un des quatre critères pour qualifier le viol – alors que promettre un rapport contre une rémunération puis ne pas payer peut s’y assimiler. « Nous avons donc fait l’analyse que ce monsieur utilisait un stratagème pour obtenir des faveurs sexuelles, non dans une logique de réseau, ni par moyen contraint, mais en solitaire, d’où le choix de la qualification pénale, et de l’orientation donnée au dossier à l’époque. » Les deux autres plaintes n’ont pas été retrouvées, les neuf autres victimes n’ont pas été cherchées et Julien D. a continué à être Axelle Vercoutre.

Preuves filmées

Il faut attendre le printemps 2020 pour que deux gendarmes parisiens se saisissent du dossier et que l’affaire puisse enfin éclore. Le 13 octobre 2020, une première vague d’arrestations et de perquisitions permet la saisie des rushs du site French Bukkake. Jusqu’à la nausée, les enquêteurs visionnent 135 heures de tournage, documentent les refus des femmes, le piétinement du consentement, les violences visibles à l’écran – tous les éléments pouvant qualifier les viols. Ce n’est plus parole contre parole, il y a désormais des preuves filmées.

Les premières interpellations sèment la panique dans le porno français. Alors que Pascal Ollitrault est incarcéré, son associé, Mat Hadix, est d’abord placé sous simple contrôle judiciaire. Ce n’est pas un délinquant chevronné. Il n’envisage pas que sa ligne téléphonique puisse être placée sur écoute et s’épanche auprès de ses proches. Sur sa colère d’abord : les producteurs pour qui il travaille ont coupé les ponts avec lui. Il est furieux d’apprendre que Dorcel, le géant du secteur, son principal client, a supprimé « 650 000 euros de vidéos, tous [ses] films de toutes les plates-formes ».

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Fin 2020, face à l’incendie médiatique, Dorcel ainsi que Jacquie et Michel, le célèbre site pornographique pour lequel le producteur travaillait également, lancent des opérations de communication, et publient des chartes déontologiques pour apurer le secteur. Celle de Dorcel est élaborée par un avocat, un sociologue et l’actrice Liza del Sierra. « Dorcel est leader d’une industrie du X qui condamne évidemment sans réserve toute pratique délictuelle ou criminelle et qui ne s’y reconnaît pas », affirme la responsable de la communication au Monde. Une meilleure information des actrices, l’obligation du port du préservatif ou encore la présence d’un « tiers de confiance » chargé de veiller au bien-être de chacun sur les tournages sont préconisées. Chez Jacquie et Michel, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, des inspections surprises sont promises.

Long travail de maïeutique

Cette affaire peut-elle être considérée comme le #metoo du porno ? Mat Hadix, définitivement trop bavard au téléphone, ne cesse de s’en prendre au phénomène de libération de la parole des femmes : « En ce moment, il y a la période du #metoo où en fait toutes les meufs accusent tous les producteurs d’être des putains de pervers, (…) baiseurs, violeurs de machin », se lamente-t-il, ajoutant : « Je vis un cauchemar. » Les responsables sont toutes trouvées. « Le mec qui nous les envoyait, aux meufs il leur disait que ça sortait au Canada. (…) Mais faut être conne, ça sort au Canada, c’est des pauvres connes, tu sais pas lire un contrat. » Il finit par enfreindre son contrôle judiciaire lui interdisant tout lien avec ses activités de producteur de porno. Direction la prison. Contactée par Le Monde, son avocate n’a pas souhaité s’exprimer, tout comme ceux de Julien D. et « Pascal OP ».

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A la rentrée 2021, les gendarmes s’attaquent au deuxième cercle du réseau, celui des quatre acteurs fétiches des producteurs, qu’ils interpellent tous pour « viol en réunion ». Etre « hardeur » n’étant pas très rémunérateur, au maximum 150 euros le tournage, ils ont tous des métiers officiels : Joël D., 46 ans, est photographe de mode ; Franck M., 48 ans, fonctionnaire ; Moussa S., 44 ans, éducateur ; Antoine G., 28 ans, plombier. Fin octobre, au cours d’un long travail de maïeutique mené en audition par les enquêteurs de la SR de Paris, ils semblent comprendre peu à peu les graves violences sexuelles auxquelles ils ont participé. Toujours les mêmes questions, dans le même ordre, et surtout le visionnage des images des tournages. Au bout de trente secondes d’une séquence qui en dure le triple, Joël D., écœuré, demande à couper. « Ça vous a paru interminable ? » demande l’enquêteur. « J’imagine que quelqu’un fasse ça à ma femme, je le tuerais quinze fois », s’emporte-t-il.

Antoine G. avoue aussi avoir été au courant, comme « tout le monde dans le milieu porno », de la manipulation d’Axelle, de la tromperie sur les vidéos prétendument visibles uniquement au Canada : « J’en ai été dégoûté, j’en ai même pleuré. (…) Tout le monde savait qu’il [Pascal Ollitrault] mentait, mais personne n’a bougé le petit doigt. » Mais il nie tout viol et affirme qu’il ne savait pas que les plaignantes avaient refusé en amont certaines pratiques. « Mon client n’a commis aucune infraction pénale, il ne faut pas mélanger les responsabilités des uns et des autres dans ce dossier », affirme Me Cédric Alépée, son avocat. Les avocats des trois autres « hardeurs » n’ont pas répondu aux sollicitations du Monde.

« C’est un carnage »

S’ils commencent par minimiser les faits, les acteurs finissent souvent par s’effondrer. « C’est un viol ? » demande la gendarme à Joël D. « Oui, madame. (…) C’est dégueulasse. C’est innommable. Pascal nous demandait d’être toujours plus hard, de pas faire des vidéos de bobonne. » Il comprend alors le cœur de l’affaire. « Je dirais que par rapport à la définition du viol, c’est des viols déguisés sous prétexte de vidéos. » Confronté à une scène où il appuie sur la tête d’une femme, qui manque de vomir lors d’une fellation, il répond : « Je mérite la mort… Je ne sais plus quoi dire, c’est un carnage. » En pleurs face aux images de la victime, « une fille normale qui n’avait jamais fait de films de sa vie », il note qu’elle « n’était plus là, elle était perdue. Il n’y avait plus que son corps qui était présent ».

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A l’issue de leurs gardes à vue, les quatre acteurs ont été mis en examen comme le reste du réseau, qui croupit en prison. En détention, Julien D., le recruteur de Reims, s’occupe en écrivant des lettres. Des pages et des pages, dans lesquelles il s’excuse auprès de sa femme et de sa famille et peine à comprendre pourquoi il est là. « Alors oui, j’ai arnaqué, engendré de la déception, blessé, moralement, mais non je n’ai pas violé. (…) Les gendarmes ont dit à ma femme que j’étais une espèce de monstre manipulateur violeur et pervers. (…) Je suis mélangé à des gens ignobles, violeurs, pédophiles, je n’ai rien à faire ici », s’insurge-t-il. Son épouse a fini par demander le divorce.

Dans sa cellule, à la Santé, Pascal Ollitrault s’inquiète uniquement pour ses molosses. A l’expert psychologue venu l’interroger, il affirme que seuls comptent pour lui le sexe et ses chiens : « Le reste ne m’intéresse pas. » A la question de savoir si son incarcération se passe bien, il se réjouit d’avoir une douche individuelle. Il fait partie des célébrités des lieux : les autres détenus, consommateurs de porno, ont reconnu dans les couloirs « Pascal OP », la star de French Bukkake.

https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/12/18/derriere-toi-il-y-a-52-autres-victimes-les-reactions-en-chaine-d-un-metoo-du-porno_6106610_1653578.html 

 

Osez le Féminisme ! S'est portée partie civile au procès historique contre le système pornocriminel

Depuis notre premier signalement en février 2020, les procédures judiciaires se multiplient :En septembre 2020, une enquête préliminaire est ouverte pour viols et proxénétisme contre “Jacquie et Michel”. En octobre 2020, quatre pornocriminels sont mis en examen pour viols aggravés, proxénétisme et traite des êtres humains. Parmi ces quatre pornocriminels, on trouve Pascal OP que toute l’industrie pornographique connait bien pour les “bukkake” qu’il organisait (viols collectifs commis par 30 à 80 hommes contre une femme), ainsi que Mathieu Lauret, qui a collaboré et même représenté “Jacquie et Michel”, et qui est un producteur important de Dorcel. Ils sont actuellement en détention provisoire. Les deux autres hommes concernés étaient des rabatteurs, chargés de piéger des femmes en se faisant passer pour des jeunes femmes sur les réseaux sociaux pour ensuite amener leurs victimes aux lieux de tournage et les contraindre à des actes de violences et tortures. En octobre 2021, ce sont quatre “acteurs” qui sont mis en examen pour viols dans la même affaire.

Ce sont maintenant plus de 50 victimes qui ont été recensées par les services de police. Elles font preuve d’un courage incroyable d’oser parler et de témoigner des viols et de la torture que l’industrie pornocriminelle leur a infligé. Nous accompagnons certaines d’entre elles, qui nous ont contacté, pour leur proposer un accompagnement psychotraumatique, social ou juridique, afin qu’elles ne restent plus seules.

Selon Le Monde, ce procès pourrait “sortir pour la première fois la pornographie du flou juridique qui l’entoure en envisageant de la traiter comme du proxénétisme, c’est à dire le fait de s’enrichir en exploitant des rapports sexuels tarifés.”

Osez le Féminisme ! s’est portée partie civile au procès et apporte un soutien indéfectible aux victimes. Nous lutterons sans relâche contre toutes les violences pornocriminelles pour en finir l’industrie pornographique criminelle. L’impunité des pornocrates doit cesser !

 

Une nouvelle newsletter : https://www.lebec.media/manifeste/

Notre projet est…

Engagé

Le Bec est un magazine multimédia qui a pour vocation de réfléchir et de faire réfléchir à l'impact du patriarcat sur nos existences. Nous croyons qu'il faut sortir de ce carcan pour plus de justice, pour affronter plus efficacement les défis qui nous attendent et s’outiller face aux oppressions pour déconstruire celles qu’on subit et qu’on fait subir.

Pluriel

La donne peut-elle changer si seules les femmes s’emparent du sujet ? 

Femme, homme, trans, bi, hétéro, homo, cis, queer, de toutes couleurs de peau, engagé.e sur le chemin des luttes pour l’égalité entre les genres, ou encore sur la voie de la découverte… autant de cases dans lesquelles le modèle patriarcal cherche à nous ranger. Le Bec s'adresse à toutes, à tous, hors des clans et des étiquettes. 

Choral

Nous sommes un groupe de femmes et d'hommes de différentes générations, de différentes origines géographiques, de différentes sensibilités, et nous tenons à cette mixité qui est notre richesse. Elle nourrit notre réflexion, nos approches, nos discussions pour se déprendre du patriarcat.

Multimédia

Textes, vidéos, dessins, bandes dessinées, poèmes… Parce que tous les formats sont les bienvenus pour s’adresser à toutes et à tous. 

Ouvert

Nous sommes conscient.e.s que, dans le comité de rédaction aujourd’hui, nous sommes tous.te.s cis blanc.he.s, alors n’hésitez pas à nous faire remarquer nos erreurs, nos maladresses, les cheminements que nous devons poursuivre. Nous publions depuis notre premier numéro des contributions de nos lecteurs et de nos lectrices qui apportent leurs regards, leurs témoignages, leurs analyses parce que sortir du patriarcat est l’affaire de toutes et de tous.

 

L'équipe du Bec Magazine

 

 

"Pourquoi cet essor des thérapies de transition chez les filles".

Synthèse des interventions de  la Dre Nicole Athéa, gynécologue et endocrinologue et d'Olivia Sarton, juriste, lors du café Regards de femmes du 25 novembre

Constat

Le profil des personnes qui recourent aux thérapies de transition évolue : passage de demandes concernant plutôt des hommes de 40 ans environ à des demandes de plus en plus nombreuses  de jeunes filles mineures. 

Pourquoi de telles demandes ?

-Les difficultés des filles à se projeter femmes selon les images véhiculées par les médias : des adolescentes cherchent à effacer leur féminité par le recours à des pratiques comme les automutilations, les troubles du comportement alimentaire, les tentatives de suicide. Avec la transition affirmative,  elles vont détruire leur féminité. 

Nicole Athéa parle de « féminicide social ». Elle demande aux associations féministes de conduire des réflexions sur les difficultés des filles à accepter leur féminité.

-Les campagnes sur les femmes victimes de la violence masculine : les jeunes filles pensent qu’en changeant de sexe, elles ne seront plus victimes de ces violences.

-Le confinement a entraîné une fréquentation accrue des réseaux sociaux. Le temps des relations dans la vie réelle a diminué fortement, et on a assisté pendant cette période à une montée des troubles du comportement. Les effets des réseaux sociaux sont réels. Le problème social y est présenté comme structurel, avec une réponse qui est celle de la médicalisation et ainsi la création d’une patientèle à vie pour les médecins et cliniques.

La réponse apportée

C’est celle d’une médicalisation par la surestimation de la dysphorie de genre sans tenir compte de la diversité des profils de jeunes : ceux qui ressentent une disharmonie de genre, ceux qui ont des pathologies psychologiques graves non liée à une dysphorie, jeunes qui vont mal à l’adolescence au moment d’une transformation du corps qui est insupportable. Les filles cherchent à rationaliser leur souffrance par le diagnostic « être née dans le mauvais sexe » pour finir par s’apercevoir que cela n’avait rien à voir (Cf. les témoignages des détransitionneuses dans Post-Trans)

L’état du droit

Pour que ce mouvement transactiviste masculiniste prospère il faut que son idéologie se répande. Le concept social de genre utilisé en lieu et place du sexe biologique, le mot genre utilisé à la place de femmes et hommes outre le fait d’invisibiliser les femmes, troublent les représentations des rapports sociaux de sexe. 

Cela entraine également des conséquences législatives néfastes pour les femmes

La France a été condamnée par la Cour Européenne des droits de l’homme : le refus de modifier l’acte d’état civil d’une personne transsexuelle ayant l’apparence de son sexe psychologique viole le droit au respect de la vie privée (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme).

Dans un premier temps la Cour de cassation a autorisé la modification de l’état civil mais il fallait qu’il y ait eu un traitement médico chirurgical préalable.

La Cour Européenne condamne à nouveau la France : l’exigence d’un processus irréversible de transformation de l’apparence viole l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme sur le respect de la vie privée.

En 2016 le législateur autorise le changement d’état civil sans avoir subi de traitement chirurgical, l’apparence sociale prime.

Interdire par la loi les thérapies de conversion concernant les traitements infligés aux personnes homosexuelles pour modifier leur orientation sexuelle est évident. Mais la loi votée non seulement ne propose pas d’interdire les thérapies de transition affirmative pour les mineurs, mais pénalise les parents ou les professionnels de santé qui inviteraient les enfants à surseoir à des thérapies irréversibles de changement de sexe, bloqueurs de puberté, traitements hormonaux et ablations chirurgicales. Les traitements hormonaux n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché pour une prescription à l’autre sexe. 

Dans le même temps, une circulaire du ministre de l’Éducation demande que les élèves soient appelés à l’école par les prénoms et pronoms que les enfants s’attribueraient, sous réserve de l’accord des parents. On demande aux enseignants de sortir de la neutralité.

Comment ces idées passent-elles dans le droit

Sous l’effet de la peur les parents cèdent aux demandes des enfants engagés alors dans une transition sociale qui conduira dans la grande majorité des cas à une transition médicale.

Ces idées bénéficient à de lobbies importants avec un mot d’ordre : cacher une loi derrière une autre loi, ne pas faire de bruit, avancer doucement, susciter l’empathie.

Il y a aussi le cinéma, les réseaux sociaux qui favorisent ces demandes mais sans jamais mettre en avant les effets néfastes de ces pratiques sur la santé et le développement.

La médicalisation.

La médicalisation va consister en des prises de médicaments enfants qui vont bloquer la puberté. Or ces bloqueurs de puberté non seulement vont atrophier les organes sexuels et agir sur le développement du cerveau mais induisent des effets secondaires néfastes comme l’ostéoporose, le blocage de la croissance. 

Des bandages de la poitrine pour que les seins ne se développent pas chez les filles sont proposés. Ils oppriment le développement de la cage thoracique. Comment ne pas penser au bandage des pieds des Chinoises ?

À l’âge de 16 ans, des médecins prescrivent des hormones de l’autre sexe, sans autorisation de mise sur le marché pour cette prescription. Et des interventions chirurgicales.

Ils entrainent également une perturbation de la relation entre les parents et les jeunes mis dans une situation de malade chronique.  Les enfants sont engagés dans un changement d’identité sur lequel les filles auront énormément de difficultés à revenir en arrière si elles le souhaitent plus tard.  En trois mois de traitement, une fille va se viriliser de manière irréversible.

Les jeunes ne connaissent ni les médicaments qui leur sont proposés ni leurs effets et cela est terrifiant. Les jeunes sont dans la transgression, cherchent à s’opposer à leurs parents, à prendre une place centrale dans les préoccupations de leur famille. Ils sont dans l’ici et le maintenant.

Suivre leurs demandes aboutit à une maltraitance à enfants. Dans les pays où ces pratiques existent depuis plusieurs années, des procès sont intentés par les transitionneurs, une fois devenus adultes, contre parents et corps médical pour manque d’informations sur les conséquences irréversibles.

La réalité de la dysphorie de genre

Le nombre de dysphories de genre est faible. En fait, on traite des difficultés identitaires comme une pathologie. 

Pour plus d'informations sur les traitements hormonaux utilisés pour les adolescents en transition, voici le lien de l'article publié par la Dre Nicole Athéa sur le site de l'Observatoire de la petite sirène - 49b30a_b7027bdd0464478493dccdfeb47b9d65.pdf

 

Spectacles, expositions, concerts...

 

Une improbable grossesse

Nona, directrice d’un centre de planning familial, amoureuse et libre, tombe enceinte mystérieusement à 70 ans, quarante-quatre ans après avoir eu, naturellement, des triplées. Ses filles arrivent à la rescousse pour la soutenir, avec plus ou moins de bonheur. Très bien écrite, cette mini-série de Valérie Donzelli avec Miou-Miou est un délice décalé, féministe, drôle et parfois émouvant, qui ne va pas toujours là où on l’attendait.
Nona et ses filles, une série de Valérie Donzelli et Clémence-Madeleine Perdrillat, coproduite par Gaumont, Rectangle Productions et Arte France et disponible sur Arte.tv

 

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